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13 août 2019 2 13 /08 /août /2019 12:35

Intervention de Frédéric Rossignol pour le chapitre de la province Taiwan-Vietnam-Inde

Taiwan, 17 au 21 Juin 2019,

L’identité est un concept qu’il est difficile de définir, parce qu’elle est changeante, et au niveau personnel et au niveau collectif. Notre congrégation change ; nous aussi, au niveau personnel et communautaire, nous sommes en continuelle évolution. Notre identité est aussi façonnée par le contexte social et ecclésial dans lequel nous vivons. Les contextes dans lesquels nous travaillons sont fort différents. Parler d’identité, c’est forcément partir de l’expérience qui est la nôtre, que ce soit au niveau personnel ou en partant de l’expérience de notre communauté, notre pays de mission, notre province. Ainsi, le confrère qui a toujours ou essentiellement travaillé dans son pays d’origine dira : la mission, elle est partout. Celui qui aura passé trente ans à l’Etranger (une espèce en voie de disparition) dira : la mission ad extra m’a complètement transformé et a fait de moi le missionnaire que je suis aujourd’hui. Il n’y a pas une identité spiritaine, il y a des expériences et des valeurs que nous partageons avec un certain nombre de confrères qui fait que nous nous identifions avec eux et que nous acceptons aussi de nous enrichir de nos différences.

Si je regarde notre identité comme spiritains en Asie (et en bien d’autres pays dans le monde), ce qui me frappe en premier lieu, c’est notre apparente insignifiance. Elle est dûe au fait que nous sommes un nombre extrêmement réduit de confrères dans chaque pays où nous travaillons, et donc au fait que bien souvent les gens ne connaissent pas la Congrégation du Saint-Esprit. Ils nous demandent souvent : vous êtes une nouvelle congrégation ? Vous êtes liés au mouvement charismatique ? Notre insignifiance est aussi liée à notre condition d’étrangers. Celui qui est étranger ne peut jamais prétendre comprendre tous les codes de la culture dans laquelle il vit. On peut souvent être perdu dans les conversations ; pour envoyer des courriers, il n’est pas rare que l’on doive demander de l’aide à quelqu’un. Si beaucoup de gens nous témoignent de la sympathie pour notre présence dans le pays de mission, il y a aussi bien des gens qui se demandent pourquoi on est là. On a parfois l’impression qu’il nous faut justifier notre présence et que l’on nous fait une faveur de nous accueillir. Cette insignifiance et absence de maitrise pour moi est le témoignage le plus essentiel dans notre mission. C’est ce que j’appelle « l’humilité forcée ». C’est lorsque je me trouve dans une situation où je ne suis pas pleinement reconnu et capable de déployer toutes mes potentialités. En acceptant cette kénose, je fais l’expérience d’être uni à tous ceux qui sont migrants, étrangers dans notre monde et Dieu sait s’ils sont nombreux et si leurs conditions de vie au quotidien sont bien plus compliquées que la nôtre. Toute la question est de savoir si j’ai suffisamment d’humilité et d’humour pour accepter joyeusement mon insignifiance…

Au centre, le modérateur du chapitre Philippe Massawe (cssp)

Au centre, le modérateur du chapitre Philippe Massawe (cssp)

Notre identité réside aussi dans le fait d’être dans le monde sans être du monde comme dit Saint Paul. Là encore les situations des confrères diffèrent énormément. Nous avons deux défis pour être dans le monde sans être du monde. Le premier défi, c’est de rejoindre ceux qui ne sont pas chrétiens. Je dois dire qu’au Vietnam, bien que vivant dans une société à 90% non chrétienne, nous sommes de fait très peu en contact avec le milieu non-catholique. Je pense qu’à Taiwan, il y a davantage de contacts avec les non-chrétiens, je pense au travail accompli dans l’aumônerie étudiante ou dans les prisons. Etre en lien avec les chrétiens nous confère une sécurité identitaire. Les gens nous reconnaissent comme prêtre, ils nous respectent comme tels, ils comprennent notre choix de vie. Oui, mais qu’en est-il de notre appel à rejoindre ceux qui n’ont jamais entendu parler de l’Evangile ? Sommes-nous prêts à ne être questionnés pour nos choix de vie ou simplement à ne pas être au centre de l’attention ? Le monde paien, paradoxalement, nous le touchons en permanence lorsque nous entrons dans le monde des communications modernes. Sur le net, on parle de beaucoup de choses mais très peu du Christ. Je pense que ne pas être du monde, c’est refuser de nous disperser dans toutes sortes de choses qui ne nous font pas entrer dans une relation authentique, intime et décentrée de nous-mêmes que ce soit avec Dieu ou avec nos frères. Autrement dit, il ne suffit pas d’aller boire une bière avec les gens loin de l’Eglise pour accomplir notre mission ad extra. Dernièrement, j’ai lu un livre de prêtres de la mission de France qui étaient prêtres et professionnels. Leur fondateur leur disait : ne dites jamais que vous êtres prêtres mais vivez de telle manière que l’on vous pose la question de savoir si vous ne le seriez pas. Notre vie de consacrés nous invite à la fois à vivre la proximité et la distance ; proximité pour nous faire compagnons de route de ceux que Dieu met sur notre chemin. Distance parce que nous devons faire beaucoup de sacrifices pour rester centrer sur le Christ et pour que les gens découvrent à travers nous qu’ils sont aimés de Dieu. Il nous faut accepter d’être différents et souvent incompris dans le monde non chrétien qui nous entoure. Sommes-nous suffisamment sûrs de nous-mêmes, convaincus du sens de notre vie de consacrés et de missionnaires que pour aller à la rencontre de ceux qui sont loins de l’Eglise ?

Père Lãm, nouveau supérieur local du Vietna, et PèreThach

Père Lãm, nouveau supérieur local du Vietna, et PèreThach

Un autre trait de notre identité, c’est notre multiculturalisme, à la fois communautaire et individuel. Au niveau communautaire, on en parle souvent dans nos chapitres généraux et donc je ne vais pas m’étendre sur la question, nous venons de divers horizons et les différences culturelles peuvent parfois être pesantes. Nous pouvons même être tentés parfois par une certaine réduction des exigences de la vie spiritaine lorsque chacun dit : chez moi, on ne fait pas comme cela, je ne vois pas pourquoi je le ferais ici. Il nous faut sans cesse nous convertir pour reconnaitre les qualités, la contribution de ceux qui vivent à nos côtés et qui ont compréhension de la vie spiritaine différente de la nôtre. Il nous faut aussi parfois avoir le courage de partager sur ce qui nous incommode dans la vie communautaire, pointer les contre-témoignages qui se vivent dans nos communautés spiritaines, refuser de dire chacun pour soi et Dieu pour tous. Là aussi patience et charité doivent continuellement être de mise. Ce multiculturalisme, nous en faisons l’expérience dans notre vie personnelle également. En vivant dans un pays et une culture si différente de notre culture d’origine, nous changeons, nous ne sommes plus totalement belges, vietnamiens, congolais ou nigérians. Nous devenons des êtres hybrides, enrichis par une double culture mais nous sentant parfois aussi étrangers tant dans notre culture d’origine que dans notre culture d’adoption. Dans une journée, nous jonglons souvent avec deux ou trois langues. Reste la tentation tellement présente dans le monde moderne de ne jamais entrer pleinement dans le monde de la société qui nous accueille parce que les liens que nous gardons avec notre culture d’origine sont tellement envahissants que nous ne consacrons pas suffisamment de temps à apprécier la culture du pays qui nous accueille. Nous chattons, nous écoutons de la musique, nous regardons des films ou lisons des livres dans notre langue et culture d’origine. Il ne s’agit pas de nier notre multiculturalisme, après tout, nos expériences du passé font partie de notre identité. Les renier serait nous renier nous-mêmes mais il nous faut trouver un équilibre entre culture d’origine et culture d’adoption et là où des déséquilibres apparaissent, tenter de restaurer un équilibre plus sain.

Père Bismark et père Đức

Père Bismark et père Đức

Dans notre règle de vie, nous disons que nous allons vers les plus pauvres. Les pauvretés dans notre monde sont multiples, matérielles, spirituelles, morales. Aller vers les pauvres, c’est expérimenter toutes sortes de sentiments mélangés : de la compassion, de la tendresse quand on a rien d’autre à offrir, de la rage et de l’impuissance devant des situations inadmissibles, de l’espérance et de la joie lorsque nous sommes accueillis sans conditions et lorsque nous voyons des situations compliquées se résorber ou devenir moins lourdes à porter. Personnellement, je vois bien que le temps et l’argent que je consacre aux pauvres et l’impact que cela a sur ma manière de vivre est fort limité. Les pauvres, je les visite de manière un peu anecdotique, j’ai pour excuse d’être en communauté de formation et d’avoir d’autres priorités. C’est une excuse bien superficielle. Partout où l’on vit, les pauvres ne manquent pas mais la pauvreté n’est pas toujours visible pour celui qui ne va pas à la rencontre des pauvres. Je me pose la question aussi au niveau communautaire de savoir si les pauvres ont vraiment une place de choix dans notre mission ? Depuis tant d’années, je ne vois pas de beaucoup d’évolution dans notre manière de travailler à ce niveau ni dans le temps ou l’argent que nous leurs consacrons. Je ne dis pas que nous ne faisons rien, parce que chacun fait des choses, mais je me demande si en tant que communauté nous ne devrions pas revoir notre engagement vis-à-vis des pauvres, voir quel impact nos actions peuvent avoir sur eux et quels projets nouveaux nous pourrions mettre en place.

Notre nouveau supérieur provincial, le père Sean O'Leary, Irlandais, nous régale de ses talents.

Notre nouveau supérieur provincial, le père Sean O'Leary, Irlandais, nous régale de ses talents.

Les défis qui nous attendent ne sont pas donc fondamentalement nouveaux. Il s’agit de continuer à accepter d’être étrangers, rejoindre ceux qui sont différents de nous et rester attachés au Christ.

Questions : après x années passées en terre de mission, dans quelles situations est-ce que je me sens étranger ? Qu’est-ce qui m’aide à accepter paisiblement mon étrangéité ?

Comment à titre personnel et communautaire établissons-nous des ponts avec le monde non-chrétien ? Ces ponts sont-ils nombreux et représentent-ils une partie importante de notre mission ?

Quels ponts construisons-nous entre notre culture et Eglise d’origine et celle de notre pays de mission ?

Quelle place ont les pauvres dans notre mission d’aujourd’hui ? Comment le contact établi avec eux change-t-il notre manière de voir les choses, notre compréhension de l’Eglise et de la société dans laquelle nous travaillons, et notre relation à Dieu ?

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commentaires

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sm vn

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